Vincent Peillon dans le Nouvel Observateur
C'est par un retour à sa vraie tradition individualiste et non étatiste que doit s'opérer la refondation intellectuelle du socialisme français.
Pour le député européen, ce sont deux dogmatismes - l'un marxiste, l'autre libéral - qu'il faut aujourd'hui rejeter.
Avec un objectif à court terme : des
assises de la gauche et des progressistes avant même la tenue du congrès du PS
prévu au printemps prochain par Vincent Peillon.
Après sa
troisième défaite consécutive à l'élection présidentielle, la gauche française
dans sa totalité et le Parti socialiste en particulier vont devoir s'interroger
sur les raisons de leurs échecs, et entreprendre enfin une mutation trop
longtemps différée.
Telle est la tâche qui nous attend si du moins notre
objectif est bien de gouverner à nouveau un jour.
La première question que la gauche française va devoir trancher, c'est
d'ailleurs celle de son rapport au pouvoir et à la victoire : voulons-nous vraiment gagner, voulons-nous vraiment gouverner
?
Même si c'est dans un autre contexte, et même si c'est avec d'autres
acteurs et d'autres résultats, la présidentielle de 2007 a, par certains
aspects, reproduit les mêmes erreurs que celle de 2002 : une campagne plus de
critiques que de propositions, plus de rejet que de projet.
Comme si la gauche avait intériorisé,
malgré les efforts de Ségolène Royal pour investir de nouveaux champs, bousculer
certains tabous et être mieux en phase avec les attentes de la société, le fait
de ne pouvoir être légitime qu'à partir d'un refus et non d'une
adhésion.
C'est avec cette disposition qu'il nous faut rompre.
Cette rupture ne
se fera pas de soi.
Elle va supposer des révisions courageuses et des audaces certaines dans notre doctrine, en commençant par faire l'analyse juste de la société et de la modernité, en cessant de plaquer du mécanique sur du vivant, en acceptant de construire de nouveaux instruments d'action.
Trouver des réponses aux problèmes des Français plutôt que construire des
compromis entre nous : c'est le fil d'or.
La gauche ne peut être seulement le parti de la défense des intérêts acquis et de l'éternelle reproduction du même.
Les inégalités entre générations, entre territoires, entre revenus ne sont plus les mêmes aujourd'hui qu'il y a vingt ans.
Les familles ne sont plus structurées de la même façon, l'espérance de vie, le rapport à la santé, à la vie et à la mort sont bouleversés.
L'école ne s'adresse plus aux mêmes publics et ne rencontre pas les mêmes difficultés : la connaissance, l'information, les loisirs, la consommation se sont transformés.
Notre insertion dans l'Europe et dans le monde, les ressorts de la croissance et les formes du capitalisme, les structurations géopolitiques et les menaces environnementales ont changé en profondeur.
C'est pourquoi la gauche doit accepter de penser et d'agir autrement.
C'est d'une ambition intellectuelle renouvelée dont nous avons d'abord
besoin.
Cela supposera que nous ayons enfin le courage de nous affranchir des
oripeaux gauchistes et tribuniciens, des «fanfares d'assaut» pour parler comme
Jaurès, qui nous encombrent encore.
Car ce sont eux qui ont bloqué en grande partie notre capacité à formuler positivement un projet novateur et crédible.
Il y en a assez, pour une gauche qui se veut de transformation sociale et
d'action, d'être toujours l'otage de ceux qui ne veulent pour rien au monde
assumer l'exercice des responsabilités et qui concentrent leurs tirs
essentiellement sur elle.
A force de trouver la gauche pas assez à gauche, ils ont installé
durablement la droite au pouvoir.
Face à la mise en spectacle permanente du nouveau pouvoir impérial,
populiste et oligarchique de Nicolas Sarkozy, disons-le simplement : ce n'est
pas capituler que de vouloir gouverner et agir, ce n'est pas honteux que de
chercher à comprendre le monde tel qu'il est, ce n'est pas trahir que de vouloir
faire tomber le mur de Berlin dans nos têtes !
C'est simplement vouloir donner au socialisme sa part, sa chance et son avenir.
C'est exercer sa responsabilité.
C'est se donner les moyens de la reconquête politique.
Cette exigence
intellectuelle renouvelée pour penser le monde tel qu'il est doit s'assumer
comme une exigence de sens et de doctrine, en articulation avec notre histoire.
La gauche moderne et populaire que nous devons construire ne sera ni
danoise, ni italienne, ni anglaise : elle sera française ou elle ne sera
pas.
La gauche française n'a pas su produire une cohérence idéologique autour de
ses valeurs et de sa tradition nationale, pour la raison première qu'elle les
méconnaît superbement.
Et pour finir, elle s'est laissé voler jusqu'à la République, au moins dans
les mots.
Le travail, le mérite, l'autorité, l'ordre sont
devenus, aux yeux de nos concitoyens, des valeurs de droite.
On nous fait ainsi porter les affres de théories qui ne sont pas les nôtres
: nous croyons au rôle de la puissance publique pour permettre que tous les
individus aient leur droit et leur chance, mais nous sommes, comme le disait
Jaurès, individualistes et non étatistes.
La vérité est que cette tradition de la République démocratique et sociale
dont nous avons besoin relève d'une amnésie au coeur de notre histoire, une
blessure ouverte depuis 1 905, laissant face à face deux dogmatismes, le
dogmatisme libéral et le dogmatisme ( marxiste, et refoulant tout ce qui a
constitué le socialisme français dans sa spécificité propre.
C'est à cette amnésie que nous devons l'impossibilité d'articuler ensemble nos actes et nos discours et de vivre dans un grand écart permanent entre angélisme et cynisme.
C'est pourquoi la refondation programmatique devra s'engendrer à partir d'une refondation intellectuelle, et que le long détour de la tradition sera nécessaire, une fois de plus, à l'enfantement de l'avenir.
Pour mener une bataille idéologique, mieux vaut disposer d'armes et de
munitions !
S'il est toujours utile d'être ferme sur les principes, sourcilleux sur
les valeurs, rigoureux - dans les analyses, il est désolant et triste de «
s'être progressivement laissé gagner par le sectarisme : sectarisme d'appareils
malthusiens et vieillissants, coupés des mouvements et de la diversité de la
société, des jeunes, des intellectuels, des syndicats et des associations, des
nouvelles luttes et des nouvelles solidarités; sectarisme des courants à
l'intérieur des appareils, où chacun regarde l'autre avec défiance, toujours
prêt à instruire un procès en trahison, en déviance, en ambition, en impureté à
son voisin immédiat.
Une gauche moderne et conquérante doit rompre avec le sectarisme ! Il faut ouvrir les portes et les fenêtres, il faut imaginer un processus qui transforme en profondeur le Parti socialiste et la gauche française devenus aujourd'hui des machines à produire de la division et de la défaite, il faut changer nos moeurs et apprendre à conjuguer autrement la richesse de notre pluralisme avec l'impératif de notre rassemblement et de notre efficacité.
François Mitterrand a fait le parti dont il avait besoin pour
développer sa stratégie politique et préparer la victoire de 1981.
C'était il y a plus de trente ans.
Jacques Chirac et Nicolas Sarkozy ont fait de même.
Le fétichisme des statuts, qui prévaut chez nous, n'est qu'une expression de l'impuissance politique qui nous a gagnés.
La vraie fidélité à l'égard des créateurs, ce n'est jamais la dévotion aux
reliques, c'est la capacité de créer à son tour.
C'est une des grandes faiblesses de la gauche ne n'avoir pas su unir ses familles dans une cohérence globale et d'avoir voulu sous-traiter à certains des pans entiers de la nouvelle synthèse dont nous avions besoin.
L'effondrement du communisme, la reconnaissance que la préoccupation
environnementale doit s'inscrire au coeur de la définition des politiques
publiques parce qu'elle est constitutive de l'intérêt général, la nécessité
d'opérer une reconquête républicaine comme préalable à toute reconquête sociale,
l'acceptation du marché et la recherche de nouvelles solidarités, tout cela doit
nous amener à transgresser les frontières d'appareils politiques qui se
survivent pour des raisons qui n'ont plus lieu d'être, la défense d'intérêts
électoraux particuliers et la fidélité à une histoire révolue.
C'est pourquoi, si nous voulons ouvrir un nouveau cycle politique, des
assises de la gauche et des progressistes doivent être lancées avant le congrès
du Parti socialiste.
Les écologistes, les communistes, les démocrates, les radicaux, les
citoyens, toutes celles et tous ceux qui dans les syndicats, les associations,
veulent construire ensemble une nouvelle gauche française doivent s'y retrouver
pour débattre ensemble des orientations qui devront être celles d'une gauche
réformiste.
Le congrès de refondation devra être l'aboutissement de ce processus.
Si nous ne faisons pas cela, nous reproduirons les mêmes enfermements, les mêmes malentendus, et nous laisserons la gauche dans l'état où nous la trouvons aujourd'hui, divisée, fragilisée, repliée, méfiante et sans perspective réellement novatrice et mobilisatrice.
Construire la nouvelle formation politique dont nous avons besoin pour mettre en mouvement la société, produire nos nouvelles fenêtres, gagner et agir dans la durée, cela fait aussi partie du cahier des charges qui doit être le nôtre pour préparer la reconquête politique.
Je sais que beaucoup de nos amis, à l'extérieur du Parti socialiste,
attendent de nous un signe.
Je sais aussi qu'il existe une majorité au sein du Parti socialiste pour
construire cette nouvelle espérance.
Une gauche qui s'assume comme gauche de
gouvernement, et cesse de préférer l'impuissance et l'amertume de la défaite à
la responsabilité et l'effort de l'action; une gauche qui accepte d'inscrire
cette action dans le monde tel qu'il est plutôt que de sans cesse se légitimer
par le refus et se construire par des négations; une gauche qui s'invente une
nouvelle vie collective, d'autres moeurs, une nouvelle fraternité; une gauche
qui, fidèle à ses valeurs de démocratie, de justice sociale et
d'internationalisme, en produise les conditions de réalisation concrètes à
partir d'une stratégie offensive et en assumant de façon plus ferme et plus
vigoureuse, face à la droite, la bataille des valeurs.
Voilà les conditions de la reconquête politique. Alors au travail
!
Vincent Peillon
Le Nouvel Observateur